Coulisses de Bretagne
Parce que nous faisons partie de ceux qui pensent que la culture n'appartient pas à un diktat "médiatico-artistico-économico-urbano-organisé", je me suis faufilé, à la faveur d'un week-end, dans un des nombreux cœurs des Côtes d'Armor.
Première étape : Trégomar, près de Lamballe. Objectif ? Revoir un copain de longue date, François Budet. "Auteur-compositeur-interprète-producteur-distributeur et VRP ", comme il aime à se présenter lorsqu'il vend ses propres CD à la fin de son concert, François a toujours conduit sa carrière artistique sans sacrifier aux modes. Du texte, de la musique, une présence.
En cherchant la salle des fêtes de Trégomar, je recompte : je n'ai pas revu François depuis un quart de siècle !
"Les billets sont en vente au Clipper" prévient l'affiche du concert. Ambiance de samedi soir dans ce café-épicerie. "Vous seriez venus trois quarts d'heure plus tôt, vous l'auriez rencontré. Mais il reste des places". Un sachet de croquettes apéritives et un demi de bière feront office de dîner.
La salle des fêtes de Trégomar. Elle ressemble à toutes les salles des fêtes de campagne. Des tons "vert pâle", une charpente en lamellé collé. Le plafond est constitué de dalles isolantes. La scène est étranglée par un cadre très bas : ce que les musiciens redoutent le plus car le son s'y enferme et rebondit !
Les chaises sont alignées sur le parquet et le public s'y installe, certainement comme on le fait pour une veillée : on se salue parce qu'on se connaît. Tout près, il y a "cette dame qui a fait de la radio, autrefois" : elle connaît tout de François Budet. Son grand succès, Loguivy-de-la-Mer. Sa vie : sa fille Yelle. Elle se souvient même de son chien Scotch qui figurait sur la pochette de son premier 33 t !
De tous les âges, de toutes les conditions, souvent en famille : le public prend forme.
Le rideau commence à se fermer, entraînant avec lui le projecteur qui se trouvait sur sa trajectoire. Chute vertigineuse du projecteur à quelques centimètres de la guitare qui attend son interprète. Cri dans la salle. On n'éteindra pas encore les lumières, car il faut chercher une solution. J'aperçois la silhouette de François. Il doit chercher une ampoule pour réparer le projecteur.
Le rideau trépigne. Le public reste impassible et poursuit ses discussions.
Le rideau s'ouvre. François et son musicien s'emparent de leurs guitares respectives. La sono émet un son strident… A bout de bras, il s'agit maintenant de retrouver les réglages perturbés depuis la chute du projecteur. Il faut pratiquement le temps de la première chanson pour entendre confortablement la voix et les deux guitares. Certes, il ne s'agit que d'une petite sonorisation (fournie par l'artiste), car ce sont là les conditions posées par le Comité local des fêtes : "Je ne vous présente pas celui qui est derrière le rideau", avait prévenu le président en présentant le spectacle "parce que si vous êtes venus, c'est que vous le connaissez !"
Et puis la magie s'opère. Rien n'a changé. François chante ses textes et s'accompagne à la guitare comme s'il servait à son public un pot de l'amitié. De chanson en chanson, l'ambiance se fait plus intime. On se connaissait en arrivant, on se reconnaît autour des chansons de François. "Il a pas changé" s'exclameront les premiers sortis.
Une pause pour faire marcher le bar (crêpes, café, vin rouge) et on se replonge comme un seul homme dans l'ambiance douillette des chansons qui racontent les hommes bleus, la mer, les séparations, les retrouvailles et les pauvres gens qui ont la richesse dans leur cœur.
Fin du spectacle. François descend de scène et ouvre sa valise : CD et…K7. Eh oui, il reste encore quelques cassettes qui feront le bonheur de cette spectatrice. "C'est vraiment bien…" répétera-t-elle sans chercher d'autres phrases pour qualifier le bonheur qu'elle voudrait bien exprimer.
François raconte très vite toutes ces années de chanteur, d'élu, de papa. "Dommage que vous ne puissiez venir partager des grillades à la maison. Ce n'est que partie remise. Promis, nous reviendrons…".
Atmosphère totalement décalée par rapport aux spectacles urbains. En fait, rien n'a changé : le plaisir d'être présent, d'écouter ensemble, de partager la crêpe à l'entracte. Les chansons sont belles, les mélodies (parfois) audacieuses. Mais tout ça, c'est invendable. Et heureusement !
François, ne change rien surtout ! Tu perpétues une réelle façon de communiquer. Nous savons que nous ne verrons jamais un clip de toi (et de ta soixantaine) à la TV. Mais
lorsque tu t'empares, nous savons qu'il se passera quelque chose de magnifique. Ton regard, ton sourire, ta voix qui se fatigue d'avoir tant baroudé racontent de si belles histoires…
Merci pour ne rien avoir changé…
L'Appel d'airs
Un ami anglais me dit, pendant que je participe spontanément à la formation musicale qui accompagne la cérémonie religieuse du dimanche matin : "Il y a, tout près d'ici, un lieu fantastique où des musiciens font le bœuf, le dimanche soir, de 19 h 30 à 23 h".
Vendu ! Décidément, ces Côtes d'Armor ne manquent pas de charme !
Imaginez une soirée noire et pluvieuse. Vous suivez une voiture qui fonce sur des petites routes sinueuses. Vous montez jusqu'au point culminant des Côtes d'Armor (350 m
?).
L'endroit est désert, sauf une petite maison battue par la bourrasque. Il faut garer les voitures dans le champ, derrière. Fort heureusement, notre guide improvisé avait une lampe de poche. Le bar est enfumé. Des instruments jonchent le sol. Il n'y a pas de scène. Il n'y a ni public, ni musiciens : tout le monde est un peu tout. Le patron propose un cassoulet des Louisettes (super). "Tu veux jouer, on fait quoi, un blues ? Peinard?" Le temps de sortir le violon, de le brancher dans la console calée entre le mur et la cheminée et c'est parti ! Clavier, guitare, basse, batterie : ça joue.
Jouer du blues dans cet antre enfumé, après avoir, dans le même week-end, répété des chants de marins, assisté à un concert de chanson française, accompagné des chants religieux anglais dans une chapelle désaffectée, puis écouté du chant lyrique lors de l'anniversaire d'une amie. Il y avait bien là de quoi apprécier de cassoulet des Louisettes et savourer les musiciens et chanteurs qui se relayaient à l'Appel d'airs, un lieu haut perché qui programme très courageusement des LOFOFORA, TRAKIRA et même Nicolas JULES ou THE FRENCH COW-BOYS.
Un site à visiter et un lieu à ne manquer sous aucun prétexte : http://lappeldairs.free.fr
JML pour Esperluette